dimanche 4 novembre 2007

gratuité de la culture : matière à réflexion #1

L'accessibilité de la culture est un thème passionnant, remis sur le devant de la scène par la mise en place d'un projet d' expérimentation pour la gratuité des musées (discours du ministre détaillant l'opération, communiqué avec lien vers le dossier de presse).
"D’où cette idée d’expérimenter, de juger sur pièce, pour pouvoir répondre aux questions que nous nous posons tous : la gratuité est-elle une arme efficace de politique culturelle ? Incite-t-elle réellement les publics qui n’ont pas l’habitude de fréquenter nos établissements à en pousser les portes ? A quels musées profiterait une telle mesure ? Quel impact sur quel type de public ? Cette expérimentation est là pour apporter des éléments de réponse, nous aider à apprécier données et conséquences." (discours du ministre)

Sans attendre les résultats de cette expérientation, on a déjà pas mal de grain à moudre sur le sujet.

Je suis toujours étonnée de voir que malgré les nombreuses études sur la démocratisation de la culture, on puisse encore arrêter sa réflexion à l'idée que gratuit=accessible pour tous=démocratique (dans le sens "démocratisation de la culture") Favoriser l'accès de la culture au plus grand nombre, là est la question, prenons pour commencer à réfléchir une petite étude légère et sympathique :

"La démocratisation de l’accès à la culture : réflexion à partir des études sur les publics du parc et de la Grande Halle de la Villette, Florence LEVY "

étude disponible en ligne : http://www2.culture.gouv.fr/deps/telechrg/tdd/publics/d_levy.pdf
(toutes les citations suivantes sont issues de cette brève étude)

à propos de "La Villette jazz festival" :
"La gratuité permet aux plus jeunes et aux moins riches d’y accéder et de découvrir de nouvelles formations, mais elle ne modifie pas fondamentalement le profil de ceux qui s’intéressent à ce genre musical. Le public populaire des espaces de plein air a, pour l’essentiel,
côtoyé ces concerts sans s’y arrêter.

Ces observations révèlent les limites des mesures d’incitation tarifaire et témoignent de la complexité de la question de la démocratisation culturelle."(...)

Si, tels des petits fours sur un plateau, la culture est présentée aux publics visés et que ça ne marche pas, comment faire???? Et c'est là qu'on pose la question de la médiation : comment faire le lien avec la culture proposée et l'imaginaire de ce public visé pour qu'il en ait connaissance, envie et expérience? Non, raté, l'étude se pose ici la question des attentes du public visé : comment s'adapter aux attentes, envies et expériences du public visé?

"S’intéresser à une population déterminée socialement et à ses pratiques culturelles, c’est aussi prendre en compte les formes d’expression artistique qui la touchent." (...)
"La distinction effectuée ici entre la démocratisation et la démocratie culturelle repose essentiellement sur la définition du champ de la culture. La démocratisation culturelle implique que l’institution rende accessible au plus grand nombre ce qu’elle considère comme appartenant au champ culturel (culture traditionnelle ou légitime), tandis que la démocratie culturelle suppose une reconnaissance par l’institution des formes d’expression artistique n’appartenant pas, ou pas encore, à sa définition de la culture mais étant déjà considérées comme telles par certains segments de la population."
La conclusion est, que quand on cible un public, celui-ci se déplace, La Villette est donc capable de répondre à la demande de segments différents de publics (et c'est une belle réussite). Qu'en est-il de sa capacité à porter son offre au-delà du public ciblé? Mystère...

Pourtant, il y a matière à réflexion dans l'étude : deux dispositifs de gratuité sont décrits :
- celui de la gratuité du festival de jazz : c'est le public averti habituel qui en a profité.
- celui de la gratuité de l'expo "le travail de mémoire" le dimanche : très fort élargissement du public "militant" vers un public "non intentionnel"

Manifestement, la conclusion de l'étude sur La Villette s'intéresse beaucoup à la réhabilitation des formes artistiques pour renouveller le profil du public :

(...) "Ces différents exemples illustrent la complexité de la question de la démocratisation
culturelle et la diversité des paramètres que l’institution peut prendre en compte si elle souhaite agir sur la composition sociale de ses publics. Ceux-ci sont en effet partiellement déterminés par l’espace où se tient la manifestation, par son horaire, par le prix de l’entrée et par d’autres paramètres de nature plus immatérielle comme l’image que l’institution donne d’elle-même ou des artistes qu’elle accueille. Mais les différentes études réalisées au parc de la Villette témoignent surtout de l’influence prépondérante du contenu artistique proprement dit. En effet, si la gratuité ne suffit pas à attirer un public populaire aux concerts de jazz et si les spectacles de danse hip-hop ont fait venir des adolescents de la France entière, c’est avant tout parce que les disciplines concernées n’intéressent pas les mêmes segments de la population et qu’elles n’occupent pas la même position dans le champ culturel. Parler de démocratisation culturelle renvoie alors nécessairement à la démocratie culturelle : lorsque les mesures visant à faciliter l’accès à la culture ne suffisent pas à favoriser la diversité sociale des publics, une offre plus large des formes artistiques peut plus sûrement aboutir au renouvellement du profil de ses publics."

On reconnaît dans cette étude une grille d'analyse bien décrite dans Démocratisation de la culture ou démocratie culturelle? Deux logiques d'action publique, Guy Bellavance, Presses de l'université de Laval, ISBN : 2-89224-303-3 (lien vers site éditeur) :
"S'agit-il en effet de favoriser l'accès à la culture, et à la ' consommation culturelle ', aux membres de groupes sociaux qui en sont pour toutes sortes de raisons éloignés ou exclus ? Ou s'agit-il au contraire de réhabiliter des formes d'expression culturelle dévalorisées ? (...)Entre politique de diffusion et politique de réhabilitation, entre démocratisation de la culture démocratie culturelle, doit-on choisir ? Peut-on choisir ?"

Dommage que l'étude sur La Villette choisisse finallement de se tourner uniquement ("nécessairement") vers la démocratie culturelle, il paraît évident qu'on ne peut que jouer sur les deux logiques pour développer quelquechose de cohérent, et la gratuité ne peut s'articuler que dans cette stratégie plus vaste et non pas être jugée en elle-même.

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